











Photographies de Tom Lacoste
L’APOCALYPSE SELON GÜNTHER
« Tout moyen est davantage qu’un moyen »
« La grande affaire de notre époque, c’est de faire comme si on ne le voyait pas (le danger), comme si on ne l’entendait pas, de continuer à vivre comme s’il n’existait pas : nos contemporains semblent s’être juré de ne pas le mentionner. Il est bien sûr impossible de se contenter de simplement décrire un tel objet. Si un objet reste par essence minimisé ou refoulé, il faut alors pour l’exposer -et ainsi faire apparaître la vérité qui est en lui- remédier à cette indétermination en exagérant d’autant plus ses contours qu’ils sont d’ordinaire « estompés ». Nous ne sommes pas encore à l’époque heureuse où nous pourrons enfin nous dispenser d’être outranciers et d’exagérer : nous ne sommes pas encore à l’époque de la sobriété. »
L’obsolescence de l’Homme, Günther Anders
Le 6 Août 1945, la famille Anderson mange son repas devant la télévision comme chaque jour. Dans ce quotidien elle assiste à l’horreur des images d’Hiroshima suite au largage de la première bombe atomique par les Etats-Unis sur le Japon. Tristesse alors : le repas n’a plus la même saveur ! Des images qui perturbent le déroulement habituel du fameux dimanche après-midi en famille. L’apocalypse selon Günther est le jugement fou d’un monde délirant en proie à l’apocalypse. C’est une recherche inspirée des textes du philosophe Günther Anders pour un théâtre de corps, cruel, étrange et drôle. La pièce revient sur l’histoire du projet Manhattan, le projet industriel le plus criminel de l’Histoire.
Extrait de l’article de Renart :
« Le 6 août 1945, la science américaine pulvérise et contamine les 200 000 habitants d’Hiroshima. Forte de ce succès, elle réduit en cendres la ville de Nagasaki trois jours plus tard. Les États-Unis ont entre temps défini à Londres la notion de « Crime contre l’humanité » de sorte à s’épargner toute mise en cause pour ses bombardements. Voilà ce que la Compagnie Protéo présente en cette rentrée de la Relance dans son spectacle L’Apocalypse selon Günther : ce procès de l’Atome qui jamais n’eut lieu. Quant à Günther, c’est Günther Anders, philosophe autrichien de l’apocalypse, juif émigré aux États-Unis, pour un temps secrétaire de Bertolt Brecht et mari d’Hannah Arendt. Comme elle avec l’Holocauste, Anders pose avec le bombardement d’Hiroshima la question de la responsabilité individuelle et collective de ces nouveaux crimes de masse permis par les progrès de l’industrie (les trains, la chimie, l’atome, l’aviation, l’organisation bureaucratique, etc). Mais quel rapport avec le plan « France Relance », est-on en droit de se demander à cet instant de l’article ?
La scène se passe en 1945 dans une famille ouvrière américaine qui travaille pour Westinghouse, l’équivalent américain d’EDF alors en charge de fabriquer la bombe atomique avec d’autres industriels (Kodak, Dupont de Nemours, Monsanto, General Electric, Bell, etc). Les deux parents sont des 500 000 travailleurs du « Projet Manhattan ». Ils vivent dans une ville secrète érigée dans le désert, sorte de camp retranché, au milieu des plus brillants Prix Nobel de leur époque [5]. Téléviseur, automobile, électro-ménager, intérieur tout confort et parties de base-ball leur permettent de supporter cette vie de caserne : l’ambiance concentrationnaire est rendue conviviale par les premiers divertissements de la société de consommation. Cinq ans plus tôt, et malgré les efforts du New Deal, la famille pointait encore comme beaucoup d’Américains au Bureau d’embauche. L’atome et l’économie de guerre lui ont fait accéder à l’abondance marchande. Mais quand la famille découvre le largage de la bombe sur Hiroshima dans son poste de télé-vision, un débat s’engage entre les parents et les enfants qui se transforme en procès de l’atome et de ceux qui l’ont produit : les élites politiques, militaires, scientifiques, industrielles, et jusqu’aux petites mains ouvrières. Günther Anders joue alors le rôle de metteur en scène et de juge : dans cette affaire monstrueuse, qui donc est coupable, qui donc est innocent ?
Mais n’allons pas plus loin dans le récit. Le lien avec l’époque actuelle est celui-ci : l’économie de guerre américaine, et le « Projet Manhattan » spécifiquement, demeurent le modèle indépassable de gestion de notre civilisation moderne. Issu d’une crise économique mondiale sans précédent, il accoucha d’une organisation sociale qui prévaut d’autant plus dans les moments de récession : l’organisation par la puissance administrative et les finances d’État, de l’industrie, de la science, de l’armée, bref : de la nation. Les chercheurs du « Projet Manhattan » ont résumé cet état de fait sous l’expression « Big science ». Le président américain Eisenhower quant à lui inventa le terme de « complexe militaro-industriel ». C’est ainsi que le spectre du « Projet Manhattan » hante cette rentrée 2020.
Le Militaire, le Politique, le Scientifique, voilà les trois archétypes que L’Apocalypse selon Günther raille par le grotesque et la bouffonnerie dans une sorte de théâtre médiéval contemporain qui a remplacé les anciennes figures du Prêtre, du Seigneur et du Marchand. Telle mise en scène ne pouvait que ravir Renart, lui-même venu de la critique sociale des âges moyens. Si le contrôle sanitaire à l’entrée des théâtres ne saurait égayer vraiment cette rentrée, au moins sortirons nous de L’Apocalypse un peu moins cons. C’est en tout cas le pari que fait, tout en humour noir, la Compagnie Protéo. » Extrait de l’Article de Renart
- Production : Compagnie Protéo
- Distribution : Jérôme Baëlen, Camille Candelier, Camille Dupond, Jacob Vouters et Michael Wiame
- Conception et mise en scène : Louise Wailly
- Ecriture : Louise Wailly et Thomas Jodarewski
- Scénographie et création lumière : Brice Nouguès
- Création sonore : Loïc Le Foll et Loïc Joyeux
- Assistanats mise en scène et construction : Tom Lacoste
- Peinture : Modeste Richard
- Chorégraphie : Chloé Wailly
- Costumes : Léa Decants et Léa Gourssol
- Production/diffusion : Manon Marlats
- Une pièce librement inspirée des travaux de Günther Anders et de Jean-Marc Royer.
Co-produit par Le Vivat scène conventionnée d’Armentières, l’Escapade à Hénin-Beaumont, le théâtre de l’Aventure à Hem et le Centre Culturel Jean Ferrat à Avion. Avec le soutien du théâtre de la Verrière à Lille, la maison Folie de Wazemmes et Moulins à Lille, le Tandem Arras-Douai, le théâtre Massenet, la compagnie l’Oiseau Mouche et du CCA-Le Millénaire. Avec l’aide à la création (PRAC) de la région Hauts-de-France et de la Ville de Lille.
Dans la presse :
